L'iPhone 5c sera lancé en France ce vendredi 20 septembre. Par dérision, ses détracteurs l’ont baptisé l’iPhone "5 Cheap", puisqu’il ne coûte « que » 599€, contre 699€ pour la version 5s qui offre de meilleures performances. Pourquoi est-ce qu’Apple change sa stratégie et diminue ses prix ? Pour réagir à la concurrence, et cibler une catégorie plus sensible au prix, et donc étendre ses parts de marché. Aux Etats-Unis, Apple jouit encore d’une avance confortable, avec presque 3 fois plus de ventes que Samsung pour les seuls Smartphones. Mais ses parts de marché stagnent à 57% quand celles de son concurrent coréen progressent de 17% à 22% en un an. Dans les autres pays, la position d’Apple est encore plus menacée, puisque ses Smartphones représentent 13% des ventes mondiales, et 30% pour Samsung. Le rival gagne en audience, c’est aussi parce il est moins cher. Le Galaxy S4 a un prix environ 30% inférieur à son concurrent l’iPhone 5s. Avec un téléphone “milieu de gamme”, Apple entend bien marcher sur les plates-bandes de Samsung. Mais surtout, pour donner accès à moindre coût à son écosystème et s'assurer ainsi de revenus supplémentaires. Le fabricant de l’iPhone 5c entend bien récupérer d’une main ce qu’il cède de l’autre. En comparaison de ses autres produits, les marges pourront être moins importantes, mais dans la logique de plate-forme qui est celle d’Apple, un Smartphone n’est pas une fin en soi. C’est une porte d’entrée pour d’autres achats. En effet, dès qu’un consommateur achète l’un de ses produit (Smartphone, tablette, ou ordinateur), il devient alors automatiquement un utilisateur de son écosystème et a accès à l’ « expérience Apple. » Une fois le doigt dans l’engrenage, il est très difficile d'en sortir. Si un utilisateur détient 1000 films et 10 fois plus de musique sur iTunes, le "coût" de transition vers Androïd (où il ne peut pas migrer ses contenus) est très élevé. De plus, l’iPhone est fait pour interagir avec les autres produits d’Apple : les macbooks, les iPads, l’Apple TV, les écrans Thunderbolts, etc. L’ « expérience client Apple » et les services de « synchronisation » ont pour objectif de vous amener à vous équiper de toujours plus de produits de la marque. Au fur et à mesure, le client devient de plus en plus captif, et garantit ainsi une source de revenu constante et pérenne. iTunes et l’AppStore sont en fait des magasins, et en achetant leurs produits, Apple nous fait en réalité payer un droit d’entrée ! A chaque nouvelle acquisition de musique, de film, ou d’application, la firme de Cupertino prélève une commission. Elle a donc tout intérêt à ce que ces achats soient les plus nombreux possibles. Et c’est là que le « Business Model » de la plate-forme prend tout son sens. Plus il y a d’utilisateurs de la plate-forme (ici, l’iPhone), plus il y a de clients potentiels pour les applications ou les contenus. Plus il y a de clients potentiels, plus nombreux seront les développeurs ou les éditeurs proposant des contenus ou des applications. Et plus ceux-ci seront nombreux, plus les acheteurs seront intéressés par la plate-forme… Ce cercle vertueux (surtout pour Apple) induit toujours plus de revenus générés par des clients toujours plus captifs. C’est une logique hégémonique : les sociétés informatiques et technologiques cherchent à obtenir une position de plus en plus dominante, quitte à « acheter » des parts de marché en donnant accès à leur plate-forme gratuitement… La stratégie de l’écosystème : un business model qui marche. Les exemples les plus fameux sont le Kindle d’Amazon ou la PlayStation 3 de Sony qui appliquent le même principe. Kindle est le nom de la liseuse d’Amazon, mais c’est aussi celui de sa plate-forme d’achat d’e-books. Ce n’est pas un hasard ! Une fois qu’on a acheté un Kindle : on obtient un accès direct à la boutique d’Amazon. La firme de Jeff Bezos pourrait d’ailleurs très bien offrir ses liseuses gratuitement puisque cela vous amènerait de facto à leur acheter tous vos livres (qu’ils soient électroniques, ou non). Les versions récentes de la Playstation (3 et 4) ont la même stratégie. Si la console est vendue en dessous du prix de production, ce n’est pas un souci. Puisque chaque jeu, film, ou musique vendus contribueront en définitive aux bénéfices de Sony. En conséquence, faut-il vendre moins cher pour vendre plus ? Stratégiquement, cela pourrait se défendre. Apple pourrait tirer parti de sa position dominante pour devenir maître en son royaume. En fin de compte, qui achèterait, à prix égaux un Galaxy plutôt qu’un iPhone ? Si iOS devient majoritaire, qui développera pour Androïd ? N’est-ce pas une façon de terrasser définitivement la concurrence ? Apple n’entrera sans doute pas dans cette logique, pour des raisons très simples de maintien de ses marges. Le cabinet américain IHS a en effet estimé, dans une étude daté de l’automne 2012, qu’un iPhone 5 (16 Go) pourrait dégager jusqu’à 70% de marge. Si, demain, d’autres iPhones moins rentables venaient à être lancés sur le marché, les ventes en seraient certainement augmentées, mais la marge moyenne d’Apple en serait sans doute amoindrie. Et, dans le même temps, les besoins en capitaux serait eux aussi revus à la hausse pour soutenir une production plus importante. Ces deux logiques vont dans des sens contraires. Dans un monde où l’actionnaire est roi, le ratio « bénéfice sur capital » est déterminant. Les actionnaires veillent à ce que leur argent soit utilisé de manière efficace. Chaque dollars investit dans Apple doit produire la rentabilité la plus élevée possible. Et, si des investissements supplémentaires étaient nécessaires pour soutenir une production accrue, pour en fin de compte arriver à des marges moindres, les actionnaires auraient de bonnes raisons d’être mécontents. De fait si Tim Cook devait annoncer des dividendes par action divisées par 3, quand bien même le chiffre d’affaire total d’Apple augmenterait, cela reviendrait pour lui à signer sa lettre de démission… Avec les « business model » basés sur des écosystèmes, la stratégie d’entreprise est devenue plus complexe.
Un écosystème garantit une clientèle plus captive et un chiffre d’affaire plus élevé, mais ne se développe souvent qu’au détriment des marges. En réduisant ses marges, Apple pourrait porter un coup décisif à Samsung et s’assurer, sur le long terme, une victoire définitive dans la course à l’hégémonie. Mais, à moyen-terme, cette stratégie commerciale est contraire à la logique capitalistique. Elle est risquée, et surtout contraire à la culture d’Apple qui s’est toujours positionné comme un acteur « haut de gamme. » On peut donc faire le pari que cette stratégie de conquête de part de marché, agressive sur les prix, a malheureusement peu de chance de voir le jour. Cet article a été coécrit avec Thomas Jeanneney-Morandeau et a été publié pour la première fois sur Le Plus du Nouvel Observateur le 18/09/2013. |
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