Les affaires récentes, « Wikileaks », « PRISM », ou encore la dernière en date « Silk Road », ont mis en avant les problématiques liées à la vie privée et à la surveillance sur Internet. Que ce soit par des particuliers, des entreprises, ou même l’Etat, nos activités sur le web sont épiées en permanence. Qu'est ce que le futur nous promet réellement en la matière ? Si c’est sur Internet, c’est public ! Les problèmes d’atteinte à la confidentialité des données sont consubstantiels à Internet. Du fait du processus informatique par lequel les données sont transmises (le protocole TCP/IP), partager des informations via Internet revient, in fine, à l’exposer en place publique. Il n'est pas vraiment possible de contrôler par où passent les données, et elles sont a priori visibles par n'importe qui. Quand bien même elles seraient protégées par un algorithme de cryptage, ce n'est en qu'une question de temps pour qu'une personne (malintentionnée ou non) puisse y avoir accès. En fait, la question est de savoir quel régime de surveillance nous sommes prêts à accepter. A l’heure actuelle, deux dynamiques sont à l’œuvre : les forces du marché, libérales et/ou démocratiques d’un coté, et des forces centralisatrices de l’autre. Le Panoptique : la surveillance de tous par tous Depuis ses débuts, Internet a été un espace où chacun pouvait s’exprimer, mais aussi un espace où chacun pouvait surveiller son voisin. Les exemples sont légion : que ce soit pour « suivre » un ex, se moquer d’un camarade de classe, ou enquêter sur ses employés, les atteintes à la vie privée et les abus de surveillance sont devenus monnaie courante. Certains de ces abus ont même pu avoir des conséquences dramatiques. Pouvant aller du licenciement, dans le cas d’un employé qui avait eu un comportement ou un discours qui déplaisait à son employeur, jusqu’au suicide d’enfants qui avaient été traumatisés par des moqueries continuelles. Une société où chacun peut épier son voisin, est une société où nous sommes en permanence soumis au contrôle social. Le Panoptique est une situation de surveillance généralisée, où les libertés individuelles ne sont, de fait, plus garanties. La Dystopie Cyberpunk : le pouvoir sans limite des entreprises Mais avec la croissance des « pure players » digitaux, le pouvoir de surveillance a en fait changé de main. Amazon, Google ou Facebook, stockent, lisent et utilisent en permanence vos données à des fins commerciales. Ces sociétés, de plus en plus puissantes, en arrivent à dicter leurs lois à l’Etat et aux marchés, et à s’affranchir de tout contrôle externe. On peut imaginer que, dans le monde de demain, ces grandes « corporations » contrôleront l’ensemble de l’économie et chapeauterons le pouvoir politique. Ce genre de monde a été admirablement décrit par William Gibson, auteur de science-fiction. Pape du « Cyberpunk », il décrit dans ses romans un monde futuriste où la technologie est omniprésente, l’état en déliquescence, et les individus contrôlés par des implants qu’ils se sont eux-mêmes posés. En effet, il ne faut pas oublier qu’en économie de marché, les gens votent avec leur portefeuille. Rien ne nous oblige à utiliser les services de Facebook, ou les produits d’Apple. L’aliénation que nous pourrions subir ne sera jamais que la conséquence de notre suffrage, fut-il censitaire. Big Brother : le pouvoir sans limite de l’Etat Un autre extrême, lui aussi très bien décrit par la littérature d’anticipation, est celui où l’Etat aurait le « monopole de la surveillance légitime », et se serait affranchi de tout contrôle démocratique. George Orwell, lorsqu’il écrivit 1984 pensait que Big Brother serait l’émanation des états totalitaires communistes… Or les exemples récents (PRISM en tête) ont montré que « la plus grande démocratie du monde » pouvait aussi se laisser séduire par les sirènes sécuritaires et la surveillance sans limite. Quand la NSA surveille en permanence des internautes, citoyens américains comme ressortissants d’autres états démocratiques, et que cette surveillance n’est plus vraiment contrôlée par une instance légitime et démocratique, le citoyen est en droit de se poser des questions. L’Espace Régulé : la surveillance limitée Il ne reste pas moins vrai qu’un certain niveau de surveillance est légitime. Comme tout espace, Internet doit voir ses éléments les plus faibles, individus, groupes ou jeunes sociétés, protégés par un ensemble de règles. Le respect de ces règles doit être garanti par une instance régulatrice et coercitive. Si cette instance doit avoir la capacité de « surveiller et punir », autant qu’elle soit pourvue d’une légitimité démocratique. Il n’est donc pas douteux qu’entre une dystopie libérale et un état totalitaire, un espace régulé, via des instances démocratiques et transparentes, offre une alternative pérenne et enviable. Les démocraties occidentales, tout autant que les internautes, doivent comprendre qu’il n’y a pas d’autre alternative réaliste souhaitable. Il faut toutefois souligner que sans prise de conscience de la part du grand public, il est peu probable de voir le politique agir. La logique démocratique veut que le politique s’empare des questions qui lui feront gagner les élections. Avec l’importance du numérique dans nos vies aujourd’hui, il serait temps que la technologie prenne dans l’espace médiatique la place qui lui échoit. Par exemple, il serait bon qu’il existe plus d’émissions consacrées aux enjeux numériques, sur des chaines grand public et à des heures de grandes écoutes. Comme c’est d’ailleurs le cas pour les émissions économiques. Ceux qui ne sont pas « digital native » doivent comprendre que la technologie n’est plus seulement l’affaire de quelques « geeks. » Un avantage stratégique pour l’Europe et la France ? Dans ces conditions, il est intéressant de noter que la France dispose peut-être d’une longueur d’avance en matière de régulation de l’espace numérique. Historiquement, L’état français moderne est né en même temps que le principe de sa propre limitation : veiller au respect des libertés fondamentales a fait partie de son mandat depuis son origine. D’une manière générale, l’Europe semble aspirer à plus d’équilibre que les Etats-Unis ou la Chine : un équilibre entre le laisser-faire libéral et la centralisation étatique excessive. En tout état de cause, on peut s’attendre à ce que les contraintes qu’impose la CNIL en matière de traitement des données soient petit à petit généralisées. Que, bientôt, ces contraintes soient étendues à toute l’Europe et, qui sait, servent un jour d’exemple à d’autres démocraties. Si cette tendance se confirme, les entreprises françaises du numérique auront donc un coup d’avance sur les sociétés qui n’étaient pas soumises à ces contraintes. Le grand public et les sociétés privées pourraient préférer confier leurs données à des entreprises plus respectueuses de la confidentialité et de la vie privée que celles qui existent actuellement… Il faut toutefois veiller à ce que les conditions au développement de ces entreprises sur le territoire français soient favorables. Pour le moment, pour des raisons de culture et de structure il est malheureusement trop fréquent de voir des pépites françaises s’exiler vers des cieux plus prometteurs… Cet article a été publié pour la première fois sur Slate.fr le 19/10/2013. |
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